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jeudi 27 juin 2013

L’esclavage en Mauritanie: Pourquoi sommes-nous si inefficaces ?



L’esclavage en Mauritanie: Pourquoi sommes-nous si inefficaces ?

Le sujet de l’esclavage en Mauritanie a fait couler beaucoup d'encre ces derniers temps. Le discours adopté dans la majorité des récits est rationnel et modéré, même si certains se sont laissé emporter en véhiculant un message d’appel à la vengeance à peine voilé !


Malheureusement, le sujet de l’esclavage est encore tabou pour certains de nos compatriotes et exploité pour des fins personnelles et partisanes par d’autres. C’est pourtant un sujet crucial pour la stabilité, la paix sociale, et le progrès économique de notre cher pays.

Dans cette modeste contribution, je vais essayer d’apporter ma pierre à l’édifice dans un débat que ma responsabilité civique et religieuse m’interdit de manquer.

Qu’il me soit donc permis de critiquer nos ‘‘efforts’’ dans ce domaine durant les cinq décennies d’existence de l’état national. Je sais que cette critique risque de m’attirer les foudres de certains de mes compatriotes qui sont dans la négation ou l’excès. Les réactions des uns et des autres n’ont aucune importance s’agissant d’un problème qui menace la bonne cohabitation et la cohésion nationale sinon l’existence même de la Mauritanie.

La Mauritanie, à l’égard de tous les pays du monde, a connu l’esclavage depuis la nuit des temps sous formes diverses et variées. Outre le facteur économique, la diversité ethnique et la stratification en couches sociales ont facilité l’enracinement de ce phénomène chez nous.

Contrairement à ce que certains cherchent à nous imposer, les racines de l’esclavage en Mauritanie et dans toute la sous-région n’ont rien à voir avec l’islam. En effet, pour la plupart des historiens l’esclavage est la conséquence de certaines pratiques atroces qui furent très répandues dans la région telles que l’enlèvement, la traite négrière, et le commerce d’esclaves [1].

L'histoire de l’esclavage est pour les livres, ce qui compte ce sont les actions mises en place pour éradiquer ce fléau une fois pour toutes. Qu’avait, alors, fait l’Etat mauritanien pour faire disparaître une telle pratique ?

Il faut le dire et répéter d’une manière sans équivoque, l’état mauritanien aurait dû prendre ce sujet au sérieux dès le lendemain de l’indépendance. Il fallait placer ce sujet au premier rang de priorités ! Hélas, cela ne fut pas le cas, puisque toute la première génération de nos hommes politiques avait jugé ce problème comme étant secondaire.

Une seule circulaire (N° 08 du 05 décembre 1969) fut alors émise par les autorités de l’époque et elle ne porte que sur la nécessité de combattre les pratiques esclavagistes [1]. Est-ce une négligence ou une erreur d’appréciation? Peu importe si ce n’est que, faisant ainsi, la génération du père de la Nation, avait entamé la construction nationale sur des fondements en déséquilibre.

Les militaires qui ont chassé le pouvoir civil n’ont pas fait mieux en la matière si ce n’est la fameuse ordonnance (N° 234-81 du 9 novembre 1981) portant l'abolition de l'esclavage et promulguée par Haidallah. Cette ordonnance n’a pas eu; cependant; l’effet escompté car son décret d’application ne fût pas pris ! Je n’ose pas parler de l’ère de l'ancien chef de l'état Mouayia Ould Sid'ahmed Taya car celle-ci fut de loin, à mon point de vue, la plus dévastatrice pour notre unité nationale.

Il fallait attendre la chute du régime de Taya et la fin de la transition (2005-2007) pour voir en fin une loi (N° 048-2007) criminalisant l’esclavage. Cette loi promulguée par l'ancien présidant Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, même si elle a été saluée par la plupart des organisations nationales des droits de l’homme, fait depuis l’objet de quelques critiques. C’est souvent son application qui est décriée du fait que la majorité, pour ne pas dire la totalité, des juges prennent rarement partie pour les victimes !

L’état mauritanien n’a; donc; même pas assuré le service minimum dans la lutte contre l’esclavage. C’est dur à entendre mais c’est la vérité amère ! C’est pourtant moins grave que l’inefficacité et même l’indifférence de notre élite nationale et de nos partis politiques face à ce fléau.

En effet, l’élite mauritanienne de la première ère postcoloniale n’a pas joué son rôle dans l’éradication de l’esclavage. ‘‘Elle a renoncé, volontiers ou contrainte, à sa mission dans ce domaine et n’a fourni aucun effort significatif pour éteindre l’étincelle avant qu’elle n’incendie toute la nation et pour retirer la tumeur avant qu’elle n’atteint les organes vitaux de la patrie !’’ [2].

Ainsi, tous les courants politiques de la première décennie de l’indépendance ont adopté un discours très faible, d’une mollesse incroyable sur le fléau de l’esclavage plus proche de la position de courtoisie que d’une position de principe ! Aucun de ces mouvements n’a pris une position claire condamnant l’esclavage et appelant à son éradication [2].

Les années 1970 ont vu naitre d’autres courants, le MND par exemple, qui ont tenté d’aborder timidement le phénomène chacun selon sa propre vision et ses solutions. Puis, le mouvement Elhor a vu le jour à la fin des années 1970 avec pour objectif unique l’émancipation des Haratines.

Ce mouvement dirigé par une élite Haratine n’a pas reçu le soutien qu’il devait de la part des autres acteurs de la scène politique et associative. Les autres mouvements qui n’ont pas porté la cause des esclaves n’ont pas eu le courage de supporter El Hor pour se faire pardonner leurs injustices envers cette composante de la société mauritanienne.

Pire, le mouvement El Hor qui devait porter le flambeau pour de bon s’est vite scindé et a connu des divisions de l’intérieur et s’est fait dompté par l’Etat reléguant son combat au deuxième rang ! Les leaders du mouvement qui sont les plus concernés par le fléau de l’esclavage ont vite déposé les armes et ont opté pour le confort alléchant du haut milieu social [2].

Ainsi, nous ne pouvons que constater que très peu de choses ont été faites par notre élite pour régler le problème de l’esclavage. Les positions de nos mouvements et partis politiques varient de la méconnaissance à l’instrumentalisation en passant par la négligence de ce fléau.

Il est vraiment triste de constater que la majorité de nos partis et mouvements politiques ne s’intéressent à ce sujet que dans un but politicien et électoraliste.

Le résultat des manquements de l’Etat et des partis politiques est que l’esclavage est toujours un sujet d’actualité en Mauritanie. Une honte qui est aujourd’hui synonyme de notre chère patrie partout dans le monde. En effet, contrairement aux affirmations de Mr Hamdi Ould Mahjoub président de l’agence Tadamoune nouvellement créée, l’esclavage existe toujours en Mauritanie.

Certes, cette pratique est de moins en moins visible en zones urbaines mais existe bel et bien à l’intérieur du pays comme l’ont confirmé plusieurs observateurs nationaux indépendants pour ne pas citer que ceux-ci.

En plus de l’existence de certaines pratiques esclavagistes au sein de toutes les ethnies et composantes sociales de la Mauritanie, les séquelles de l’esclavage sont visibles partout ! Que ce soit à Nouakchott, à Nouadhibou, à Rosso, à Kiffa, dans les grands centres urbains ou aux villages les plus reculés du pays, ces séquelles sautent aux yeux sauf si l’on est frappé de cécité.

Que devons-nous faire pour contribuer à l’éradication de l’esclavage et pour fermer les portes de la division de notre peuple et à l’ingérence extérieure? Certains pensent que c’est de la responsabilité de l’Etat et que personne d’autre ne peut y contribuer. Il n’y a qu’à lire les différentes contributions faites dans ce sens pour s’en rendre compte : une liste de propositions du type : l’Etat doit créer, l’Etat doit mettre en place, l’Etat doit engager des débats…..etc. [3].

Et nous, moi et vous, qu’avons-nous fait pour faciliter la tâche à, et non de, l’Etat ? La Mauritanie n’est pas notre ennemi alors aidons la chacun à son niveau. Nous ne pouvons charger les autres de tout faire pour nous et à notre place. En somme il faut que tout le monde y contribue et donne l’exemple autour de lui.Avais-je sensibilisé autour de moi, au sein de ma propre famille et de ma tribu, sur les graves atteintes que subissent les esclaves ? Sur la gravité des séquelles de l’esclavage ?

Quel effort de réconciliation avons-nous fourni, chacun à son niveau, pour prévenir les discours extrémistes et leurs dérives dangereuses pour notre pays ? Ai-je, en tant qu’enseignant, porté une attention particulière aux enfants Haratines de ma classe pour les aider à mieux réussir ? Ai-je donné des cours de soutien gracieusement à ces enfants ?

Ai-je, en tant qu’homme d’affaires, contribué à la mise en place d’internats pilotes pour accueillir gratuitement les enfants victimes de l’esclavage ? Quels programmes d’intervention avons-nous mis en place pour venir en aide aux victimes de l’esclavage aux villages ‘adwabas’ à l’intérieur ? Quelle campagne de sensibilisation avons-nous menée pour lutter contre la ségrégation sociale ?

Avant de demander un débat national, n’est-il pas mieux d’engager un débat au sein de chaque famille, de chaque tribu, de chaque village ou quartier? Avant de demander la mise en place des programmes qui coûtent des milliards, ne faut-t-il pas donné des centaines ou des milliers d’ouguiyas ?

Des organisations de la société civile semblent avoir compris cette réalité. Ces organisations font, depuis peu, un travail remarquable pour combattre ce fléau avec des moyens très modestes mais avec des idées claires, des objectifs nobles, et des intentions sincères. Ces initiatives méritent le respect et l’aide de tout mauritanien digne de ce nom. Pour ma part, je lève mon chapeau pour saluer leur travail et me tiens à leur disposition pour tout effort à ma portée!

Références

[1] Feuille de Tawassoul sur l’esclavage en Mauritanie, 2011.

[2] http://www.essirage.net/opinions-and-analytics/11975-2013-04-21-20-41-22

[3] Manifeste: Pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines au sein d’une Mauritanie unie, égalitaire et réconciliée avec elle-même, 2013.


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