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jeudi 4 avril 2013

Devoir de résistance


Devoir de résistance Entre Mauritaniens, qu’on se le dise, dans notre pays les opprimés sont connus de tous. Il s’agit de ceux qui sont issus des ethnies noires, des Haratines et des pauvres parmi les Maures. Les conditions de vie des premiers deviennent chaque jour plus inhumaines. En plus d’être pauvres, ils subissent les humiliations quotidiennes et le racisme de l’Etat.

Lorsqu’ils voyagent à travers le pays, ils sont soumis au contrôle au faciès. Le teint basané ou un turban suffisent comme carte d’identité pour un Maure, tandis qu’on demande à un Noir de justifier son voyage et de fournir l’intégralité de ses papiers.

En plus de ces tracasseries permanentes, les agriculteurs noirs sont victimes du chantage des chameliers maures, qui ont pris la honteuse habitude de jouer sur la peur lorsqu’un dromadaire est découvert inanimé dans la région de la vallée. Cette situation ne date pas d’aujourd’hui, elle obéit à une logique et à un ordre social et politique établi.

Au lendemain de notre indépendance, la Mauritanie n’a pas été épargnée par l’influence internationale du nationalisme arabe. En développant l’arabité du pays, certains idéologues maures proches de cette mouvance n’ont pas hésité à endoctriner les dirigeants du pays. Une réalité antérieure à leurs élucubrations puisque dans la constitution, il est mentionné que la Mauritanie est un pays arabe et africain.

Le malheur est qu’ils ont réussi, avec la bénédiction et le soutien des ligues panarabes, à vendre à la classe politique l’idée d’épurer progressivement la Mauritanie des Noirs. Exception faite de certains intellectuels maures, le projet de faire du pays un Etat arabe a été soutenu par la majorité des tribus du Nord. Il fallait commencer par l’image diffusée à l’étranger.

D’aucuns n’ignorent la mise en œuvre, au milieu des années 60, du projet d’endoctrinement de l’intelligentsia peulhe, par l’enseignement de ses origines prétendument arabes. On envoya ainsi des étudiants maures et peuls en Irak et en Egypte, afin de parfaire cette piètre propagande.

Sur le plan artistique, l’on ne dépêchait que des délégations monocolores du pays. Diplomatiquement, la plus grande partie de nos chancelleries sont encore occupées par des Maures. De 1960 jusqu’à nos jours, les diplomates noirs ayant officié à Paris se comptent sur les doigts d’une seule main.

De plus, observer de l’intérieur le paysage culturel du pays est frustrant : les artistes noirs sont marginalisés, et les médias publics sont le lieu de domination par excellence. Même en recevant les courriers, les étrangers ne découvrent à travers les timbres que l’art maure.

Et ce n’est pas tout. Le projet d’arabisation à outrance de la Mauritanie est aussi accompagné par une politique abjecte de « dénégrification » du pays. Ainsi toutes les formes de violence ont été expérimentées. Progressivement, le système est devenu réactionnaire. Et l’usage de la violence atteint des proportions inégalées lorsqu’il s’agit des Noirs. On ne rappellera jamais assez le génocide perpétré contre les Peulhs dans la région de la vallée et l’extermination de la « race » des officiers noirs dans les casernes militaires.

Le déni culturel ajouté à l’exclusion fait inévitablement du Noir un citoyen de seconde zone. Nombreux seront sans doute les patriotes pyromanes qui récuseront les propos avancés ici, mais aucune personnalité nationale n’osera dénoncer la politique des quotas discriminant les jeunes noirs pour l’accès aux postes de responsabilité, notamment au sein de l’armée.

Il existe chez nous une constitution officieuse qui justifie la discrimination raciale. Le fils d’un général le deviendra sans nul doute un jour même s’il ne dispose d’aucune qualité… il suffit de scruter la trajectoire de ceux qui dirigent le pays et les promotions au sein de l’armée pour s’en rendre compte. On a institutionnalisé le despotisme et la culture de la médiocrité.

L’Etat a également établi un esprit d’acharnement arbitraire. Des histoires invraisemblables se produisent dans ce pays. Il y a de cela un mois, avec la complicité des autorités locales à Mbagne, un chamelier maure ayant constaté la mort de son dromadaire a contraint un agriculteur peulh originaire de Dabbé à verser une somme de 500 000 UM pour réparer un délit qu’il n’a pas commis. C’est une injustice très répandue dans la région de la vallée. Un autre agriculteur vient de subir le même sort à Djowol. La vie d’un dromadaire vaut-elle donc plus que celle d’un agriculteur Noir ?

Depuis quelques années, des troupes de la garde nationale sont dépêchées dans des quartiers périphériques de Nouakchott, comme El Mina et Sebkha. Cette situation est aujourd’hui vécue comme un état de siège permanent par la jeunesse noire, de plus en plus consciente des mobiles d’action du système en place. Le seul argumentaire présenté par les autorités consiste à lutter contre la délinquance. On ne cesse de nous servir quotidiennement dans la presse des cas des vols et de viols. Or, souvent ces drames se produisent sous les yeux de nos piètres gardes.

Violents quand il s’agit de réprimander mais incompétents quand il s’agit d’un travail digne. Et la plupart du temps, l’on recrute même des anciens malfrats au sein de la police. L’Etat est donc responsable de la recrudescence de la criminalité. La preuve en date est que les escadrons déployés à Nouakchott n’ont pas pu sauver la vie de Penda Soghé, mère d’un enfant âgée de 2 ans, ligotée, sauvagement violée puis assassinée par ses bourreaux toujours en cavale.

Aujourd’hui, il est urgent de s’organiser, afin de mettre un terme à cette oppression qui perdure. La jeunesse noire doit catégoriquement refuser la stigmatisation et le conditionnement. Mieux vaut se défendre une seule fois que de vivre éternellement une oppression. Les rafles ségrégationnistes et l’exclusion par le recensement ne s’arrêteront que lorsque nous nous déciderons à nous mobiliser. Car la peur d’une force policière n’est légitime que lorsqu’elle intègre la conscience collective de la masse. Mais la force a aussi peur de la masse consciente de sa force. Notre lutte est celle de la libération.
Bâ Sileye
Sociologue et Journaliste mauritanien
Sileye87@gmail.com

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