Translate

jeudi 13 septembre 2012

Génocide et délits de complicité en Mauritanie (partie 4)



inalUne lecture de l'Enfer d'Inal de Sy Mahamadou[1] 
« C’est dans les périodes de transformations, dit Paolo Coelho, qu  apparaissent les martyrs ».  Mais avant que les  gens aient la possibilité de suivre leurs rêves, il faut que d’autres se sacrifient. Ceux-là, doivent affronter le ridicule, les persécutions, tout ce qui vise à discréditer leurs actions voire même leur humanité. Les régimes narcissiques sont programmés à déshumaniser tous ceux qui oseront défier leurs élucubrations caractérisées par l’infamie. C’est justement ce que l’on retrouve dans le livre-mémoire l’Enfer d’Inal du rescapé Mahamadou SY dont nous  vous présentons une lecture résumée.

 Mahamadou Sy nous livre avec une simplicité captivante le récit de la mort des hommes innocents, tués arbitrairement  par l’Etat mauritanien  pour des délits inexistants. A lire son livre, tout lecteur découvre que les militaires massivement assassinés dans les casernes militaires sont morts à cause de leur race, et par dessus   tout, les accusations étaient infondées. Donc, l’Etat avait inventé un mensonge pour exterminer, car il ne s’agissait pas seulement de tuer « les ater-égo » dans les casernes, mais tous les négros. Sinon, comment un pêcheur peut diriger un coup d’Etat? Sy a donc rencontré ce pêcheur : «  Parmi les concepteurs du complot se trouvent des tailleurs, des maçons et des pêcheurs.

Un de ces derniers ne doit son arrestation à l’odeur du poisson que vend son épouse et qui dérange un boutiquier maure. Une altercation ayant opposé le pêcheur au commerçant, ce dernier lui promet que cette histoire sera réglée le jour même. En effet, il fut embarqué dans l’après-midi par la police pour se retrouver ensuite à Jreida». Il y a en plus risible dans cet épisode sombre de notre histoire. C’est l’histoire d’un vieux Dem qu’avait questionné Sy sur les origines de son arrestation :«  Quand  je demande au vieux Dem, un septuagénaire tout édenté, pourquoi il a été arrêté, il me répond qu’on l’a ramassé au marché de la capitale où il vendait des cure-dents, conduit au commissariat et torturé puis fait signé un papier avant d’être déposé à Jreida. On lui aurait dit qu’il est impliqué dans une histoire de coup d’Etat ; Cela le fait encore rire : « moi faire un coup d’Etat ! Je n’ai plus qu’une seule dent et ne peux même plus faire peur à un morceau de pain ». La conception d’un crime peut souvent dévoiler la petitesse de ses auteurs, ici, l’on découvre tout simplement la bassesse humaine.
 C’est indéniable, il le dit, et le justifie dans ce livre-témoin des atrocités commises par des hommes, qui prétendument, se considèrent  comme étant les gardiens de la paix et de l’intégrité de la Mauritanie. Ceux-là sont aujourd’hui des militaires à la retraite, des  généraux de l’armée, des hommes influents au sommet de l’Etat, des idéologues et conseillers à la présidence, un député et premier vice président de l’assemblée nationale, un homme politique membre de la coordination de l’opposition démocratique, et des notables gaillardement complices.
 Les sanguinaires n’ont de fantasme  qu’un seul reflexe : l’abomination et la torture. Si tel n’était pas le cas, Sy Mahamadou, connu par son honnêteté et sa franchise, n’allait pas  évoquer : « le fanatisme racial et la volonté d’épuration raciale ».
 Cette vérité, le rescapé l’exprime en ces mots trop touchants : « J’ai tenu à relater la vérité que j’ai vécue au cours de cette sombre période de mon pays, ma Mauritanie , sans en déformer quoi que ce soit pour deux principales raisons : la première étant de me permettre de vivre en paix avec moi-même, en révélant aux Mauritaniens, d’abord et au monde entier ensuite, jusqu’où la bêtise humaine et le fanatisme racial, caractérisés par l’intolérance, le refus et la négation de l’autre peuvent encore nous conduire à l’aube du troisième millénaire. La deuxième raison étant de chercher à éviter l’amalgame qui voudrait en milieu négro-mauritanien, que tout maure soit un tortionnaire ou un assassin » (p.11).  Ces propos justifient l’entêtement affiché par les autorités mauritaniennes à vouloir étouffer la vérité concernant ce génocide. En réalité, les hommes impliqués  dans ces exactions extrajudiciaires sont  les véritables acteurs des appareils de l’Etat. Ils sont partout : dans l’armée, à l’assemblée, dans l’administration, dans les commissariats, dans les partis politiques, dans les marchés, dans la société civile, et même dans les mosquées. Mais l’Enfer d’Inal a été écrit pour les distinguer des autres pour nous éclairer sur l’identité exacte des tortionnaires connus du grand public ou ignorés.
Sy Mahamadou, un ancien lieutenant, aujourd’hui exilé en France servait pour sa patrie comme tout bon militaire. Le 28 novembre, jour de fête indépendance était son plus beau jour : «  Il fut un temps où, tout jeune, avec Yahgla, Zeine Ould Abidine et d’autres, je courrais très tôt à travers les rues de la capital, à l’occasion de cette fête nationale, pour voir défiler cette armée dont j’étais fier. Jamais plus rien ne sera pareil » (p.123).  Sa fierté s’est substituée à une funeste euphorie. Et, la nuit du 28 Novembre 1991 fut sa plus horrible nuit. A le lire, elle n’était à leurs yeux qu’une nuit de sacrifice dont l’objet immolé n’était que l’officier et le soldat noirs : «  la démence a été poussée jusqu’à symboliser la date du trentième anniversaire du pays par 28 pendaisons. Vingt-huit vies humaines sacrifiées sur l’autel de la bêtise » (p.122).  

Son livre présente l’image cannibale d’un régime disposé à tuer avec précision.  Les bourreaux s’appliquaient dans la torture et à l’auteur de nous le décrire en ces mots : « Le scénario se déroule toujours de la même  façon, ils s’acharnent sur les prisonniers pendant une bonne dizaine de minutes à coups de rangers, de ceinturons, de lanières, de fils de fer, de bâton, de tout ce qui peut faire souffrir. Ensuite seulement vient l’inévitable question « roud », raconte en langue maure, le sous-lieutenant Ely) en mêle de temps à autre pour étrangler à plusieurs reprises les victimes, il doit adorer ». Il s’agissait d’un moyen pour soutirer des aveux au près des innocents prisonniers. Il montre comment la torture a décimé les officiers noirs : car les prisonniers d’Inal étaient selon l’auteur astreints de livrer des noms malgré eux.  De toutes les façons, donner un nom ou avouer ne les épargnait pas de la mort : De Boghe (chef lieu des premières arrestations et exécutions) à Inal et partout dans les autres camps : Avouer, c’est mourir, et se taire c’est périr.

Sy est formel, le lugubre colonel Ould Boilil se chargeait de transmettre à l’Etat-Major des noms  des militaires dignes  de mourir sur le champ parce qu’ils sont connus par leurs prisonniers. L’auteur du livre aurait, lui-même, eut le malheur d’être connu par un militaire, mis aux arrêts, et ayant prononcé son nom sous la torture. Donc comme le dit-il, il s’agissait des présumés « dénoncés et futurs-dénonciateurs », qui sont soumis aux supplices jours et nuits, à tel point que le chien de l’un des bourreaux imitaient leurs gémissements.

Cet acharnement était symptomatique. Il révélait la planification du meurtre d’une élite d’un peuple. Il caractérisait le paroxysme de la haine raciale et ethnique. Ce qui intrigue c’est la banalité les anecdotes racontées  par le rescapé sur lesquelles sont fondées les arrestations. Si un maure a été sur le ban de la société après avoir dénoncé l’injustice lorsque les milices de l’Etat égorgées des femmes dans les rues de Nouakchott, nombreux sont aussi les militaires tués pour avoir eu des liens avec un officier de son escadron ou de sa base militaire. Les bourreaux malmenaient ceux là ,et voilà comment l’exprime l’auteur de l’Enfer d’Inal : «  Le colonel, ayant été informé que Dia Cheikh a eu à me faire une commission de mon ami Sall, a donc tenu à s’occuper du soldat ( le lieutenant Sall Abdoulaye). Il lui avait fendu la lèvre et brisé le nez. Il ne vivra à Inal que trois jours » (p.89).

A la lecture de ce livre-témoin, l’on se rend compte que les journées des prisonniers sont faites de peines. Même le repos dans les cellules constitue une épreuve lamentable, car  les murs étaient remplis des traces de sang des prisonniers. Et dehors n’est pas un lieu d’amusement encore moins de détente. Ils sortaient pour se soulager selon les humeurs de leurs bourreaux. Les prisonniers sont momentanément conduits sous le hangar de la torture, ou pour faire un tour de supplice,  attaché à une voiture. Ecoutons le rescapé nous rapporter : «  Le lieutenant Anne Dahirou est attaché derrière une Land Rover, le véhicule de commandement du capitaine Sidina Ould Taled Bouya, il est à l’autre extrémité sur ma gauche, ensuite viennent, respectivement le lieutenant Mohamed Mensour Kane puis le lieutenant Sall Abdoulaye Moussa attachés eux derrière des Sovamag. Quant à moi, on me destine à un camion. C’est parce que tu es le plus grand » me dit un soldat (…) On m’asperge d’eau sale et puante. J'entends un moteur tourner et sens un goût âcre de la fumée de gasoil au fond de ma gorge. Le camion, une Mercedes  type 11/13, se met à rouler. J'essaye de suivre en courant mais cela ne peut durer longtemps avec des pieds enchaînés, et qu'en plus, il faut courir à reculons".  (p.95). 

Le livre se termine par des chapitres plus que bouleversants. Le transfert d’un camp à un autre exprime un double sentiment pour les prisonniers: celui de l’espoir d’être libéré ou la peur de l’exécution.  Dans les deux cas, Sy est lui-même resté digne mais septique tandis que les autres se contentaient de quitter le mouroir d’Inal. Mais, c’est aussi difficile de partir d’un lieu sur lequel reposent les âmes nobles et  innocentes. C’est pourquoi 23 ans après, Sy n’avait omis aucun détail de son douloureux passage à Inal. Les souffrances des victimes ont été partagées et incorporées par d’autres personnes. Les veuves et les enfants ont subit le martyr. Les orphelins ne cessent de demander « à quand le retour de leur papa », et les veuves, n’excusent jamais l’Etat d’avoir tué leurs maris innocents. 

Le génocide aurait dû emporter tout un peuple, mais des hommes dignes ont refusé l’infamie. Sy cite des colonels maures ayant prévenu sur le caractère ethno-raciste des arrestations. La déclaration de l’adjudant Cheikh Fall (hartani)sur les ondes de la Radio France Internationale (RFI) avait donné une portée internationale du génocide. Lui qui était parti en mission, envoyé par l’Etat major : «  Après avoir assisté aux arrestations et vu les traitements réservés aux prisonniers, Cheikh Fall est envoyé en France pour suivre un stage. Quand il arrive à Paris, il est tellement choqué par la situation qu’il a  laissé derrière lui qu’il décide de dénoncer la racisme d’Etat, la barbarie et les horreurs érigées en règle dans son pays ». (164).
Ce qui est scandale au sommet de l’Etat mauritanien est jugé comme un acte de bravoure par la communauté internationale. Ainsi beaucoup d’âmes furent sauvées et des hommes remis progressivement en liberté et certains réintégrés dans l’armée. C’est ainsi que les gens de Tarb el bidane (fils de bidane) ont commencé à critiquer les méthodes du régime de Maouiya Ould Taya… Mais des maures dignes et honnêtes, il y en avait dès les premières arrestations.


L’auteur rend un vibrant hommage à la plume du regretté Habib Ould Mahfoud (paix à son âme), fondateur du  célèbre journal Le Calame « Mahfoud qui fut le premier Maure blanc à dénoncer  les horreurs des camps. Il en donne, sous sa plume, une diffusion à la dimension de l’événement » (p.167), éternise Sy.
Sans oublier de nombreux avocats maures ayant participé au collectif de défense des victimes de la répression. Un collectif dont les figures de proue sont un Maure Maitre Ibrahim Ould Ebetty et Maitre Diabira Maroufa.

14 Avril 1990, c’est la fin du mois de ramadan, alors que les prisonniers veillaient à la soirée, un véhicule pénètre dans  le camp. Ce fut le capitaine Mokhtar venu apporter un message du cynique Taya… Mais quel discours, écoutons comment le rapporte Sy : «  Aujourd’hui, c’est la fête du Ramadan, en ce jour sacré, le Président de la République vous a pardonné. Le Chef d’état-major me charge d vous dire d’oublier ce qui s’est passé et qu’en bons musulmans, vous devez mettre tout cela sur le compte de la fatalité. Venez nous rejoindre au mess des officiers où vous pourrez faire votre toilette et vous raser en attendant l’arrivée du comptable pour la paye et les camions pour vous déposer chez vous en ville »… Je lui réponds : « Il est vraiment très fort le Président, il nous arrête, nous torture, nous tue et c’est lui qui nous pardonne »… ( p. 167).

Le président et les bourreaux ont accusé Dieu, mais les ex-prisonniers savent que Dieu n'y est pour rien. D’ailleurs le dernier acte qu’ils avaient effectué à Jreida, c’est la prière : « A notre retour, toute la base, geoliers et ex-prisonniers, était alignée, pour la priére marquant la fin du ramadan, derriére Mr Lâm, un des prisonniers civils. La limpidité de sa voix et sa maitrise du coran en avaient fait l’imam désigné de tous les prisonniers ». ( p.169).

« Et quel pire injuste que celui qui forge un mensonge contre Allah ? Ceux-là seront présentés à leur Seigneur, et les témoins (les anges) diront : “Voilà ceux qui ont menti contre leur Seigneur”. Que la malédiction d'Allah (frappe) les injustes.» (Coran 11/18).
Bâ Sileye (pour le texte en Français)
Diallo Djibril ( pour le texte en Arabe)
Pour lire les séries précédantes veuillez suivre le lien suivant :


[1] Cet article a été lu et approuvé par l’auteur du livre, le rescapé Sy Mouhamadou. Par ailleurs, la publication des noms des victimes sera poursuivie dans nos prochaines séries. Sur la photo, le Lieutenant Sy Mouhamadou lors d’un défilé militaire avant son arrestation et son transfert à Inal

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire