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mercredi 11 avril 2012

Interview de M. Biram Ould Dah à KASSATAYA (plus audio)

Biram Ould Dah à Paris en avril 2012. DR KasatayaNous avons le plaisir de vous proposer l’intégralité de l’interview que nous a accordée M. Biram Ould Dah, président de l’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA). Il y aborde des sujets majeurs dont vous avez lu quelques extraits accompagnés, comme le veut la pratique, de commentaires qui nous engagent et qui sont naturellement à dissocier des propos tenus par M. Ould Dah.
Kassataya : En février dernier des membres du bureau ont quitté l’IRA pour je cite « dénoncer la gestion unilatérale, le manque de transparence, l’extrémisme, les dérives politiques ». Votre organisation est-elle entrain de payer les controverses et les polémiques provoquées par des prises de position jugées parfois musclées ?
Biram Ould Dah : Non, aucun membre du bureau n’a quitté IRA, aucun militant n’a quitté IRA…
Kassataya : Les dissidents ?
Biram Ould Dah : Il n’y a pas de dissidents à IRA. Il y a Elhoussein Dieng qui est un ex-membre du bureau qui a été suspendu et exclu du bureau depuis le 4 août 2010. C’est celui-là qui a reçu son exclusion définitive en assemblée générale extraordinaire le 12 février [2012]; elle lui a été signifiée en assemblée générale extraordinaire, son exclusion, et on lui a dit les motifs. Les motifs c’est qu’on a constaté les va-et-vient qu’il faisait dans le bureau du général Aziz.
Kassataya : Est-ce que vous pouvez vous contenter de renvoyer cette question en sortant l’accusation d’accointance avec les autorités ? Et les griefs … contre IRA ….
Biram Ould Dah : Il n’y a pas « on », il y a « il », c’est une seule personne…
Kassataya : donc… c’est un groupe qui est parti
Biram Ould Dah : non, non, il n’y a pas de groupe qui est parti.
Kassataya : ils sont trois ou quatre.
Biram Ould Dah : Non, non.
Kassataya : il y a un communiqué qui dit…
Biram Ould Dah : il y a un autre communiqué qui a exclu le 16 février [2012]un autre membre de IRA, Saleck ould Inalla parce que lui aussi, on a constaté qu’il travaille pour les services de renseignement et pour le ministère de l’intérieur et toutes ces accusations…
Kassataya : ça ne doit pas surprendre… ?
Biram Ould Dah : ça ne me surprend pas; ça ne me surprend pas, parce que maintenant on sait que le général Aziz, depuis quelques mois, a jeté son dévolu sur une manière d’éclater IRA ou une manière de discréditer IRA en tant que mouvement qui est toujours en ascension et qui est toujours entrain d’engranger des points et dont la mobilisation devient de plus en plus grande et qui emporte l’adhésion et l’enthousiasme de très larges pans de la société mauritanienne, surtout les défavorisés des villes comme Nouakchott, surtout. On a constaté qu’il y a  eu plusieurs échecs des services de sécurité de faire éclater IRA ou de trouver des failles dans IRA. Lui-même, après avoir démis de ses fonctions son directeur de la sûreté qui était chargé de ce travail, lui-même a pris les choses en main mais il n’a trouvé que des exclus avec qui il a pu parler, des marginaux de IRA comme El Houssein Dieng et Saleck. Et on a prouvé ça, ce que IRA a dit ; parce que deux jours après l’exclusion de Houssein, il a été reçu en grande pompe dans le palais présidentiel ; donc c’est quelque chose de prémédité, de préparé d’avance. Et Saleck ould Inalah lorsqu’il a été exclu le 16, le 18 il est reçu par le ministre de l’intérieur et le chef de l’Etat et on lui délivre un agrément pour une nouvelle association, pseudo- association de défense des droits de l’homme mais ces deux associations qui ont été créées par les autorités n’ont  comme travail sur le terrain que les insultes contre IRA.
Kassataya : au-delà des manœuvres que vous invoquez qui sont celles de l’Etat, est-ce que ce qui a été avancé par vos détracteurs peut avoir un fond de vérité à savoir la gestion unilatérale, le manque de transparence, les dérives politiques ? Que répondez-vous à cela ?
Biram Ould Dah : Mais, je dis que IRA est dans sa trajectoire et sa vocation naturelle. Nous sommes un mouvement d’idées, nous sommes un mouvement qui est constitué pour la subversion idéologique et religieuse, pour la subversion des dogmes de la société qui sont idéologiques, religieux ou culturels et des pratiques politiques traditionnelles qui sont le soubassement de domination ethnique et de classe, qui sont le soubassement de la justification de l’esclavage et des pratiques du racisme dans la société et dans les rouages de l’Etat mauritanien.
Kassataya : Donc pour conduire ce combat vous récusez l’accusation de gestion unilatérale et de manque de transparence…
Biram Ould Dah : C’est une accusation sans aucun fondement et aucune personne à l’intérieur ou en dehors de IRA ne lui accorde un crédit parce que IRA est constitué par beaucoup de cadres, beaucoup de personnalités, par beaucoup de militants…
Kassataya : Les décisions, les orientations, tout est pris de manière collégiale et après concertation et en toute transparence ?
Biram Ould Dah: Toute décision dans IRA est prise selon les normes et elle acquiert…
Kassataya : Quelles sont ces normes, il y a concertation ?
Biram Ould Dah : Il y a la concertation, il y a la concertation, il y a…l’autonomie aussi des autres membres de l’IRA dans les différents compartiments des structures de l’IRA, l’autonomie des décisions pour les différents membres.
Kassataya : A l’ occasion du pèlerinage d’Inal que vous avez organisé en novembre 2011, certaines organisations vous avaient reproché un manque de concertation. Vous aviez répondu alors que pour une cause qui vous mobilise, vous n’attendiez pas qu’on vous invite ou qu’on vous associe. Or, vous êtes allés à reculons, au moins, à la marche du 12 mars 2012 organisée par la COD. Le départ de Mohamed Ould Abdel Aziz pour vous, ce n’est pas une cause qui vaut cela ?
Biram Ould Dah : Euh…tout d’abord, je voudrais un peu revenir sur la vocation de IRA, que les gens…j’ai déjà dit et je le répète ici que IRA n’est pas neutre dans le cadre du face-à-face entre le peuple et les bourreaux, entre la dictature…
Kassataya : nous y reviendrons… restons-en à la manifestation du 12 mars organisée par l’opposition demandant le départ de Mohamed Ould Abdel Aziz.
Biram Ould Dah: Tout d’abord, je vais dire que tout n’a pas été fait de la meilleure manière dans le convoi d’Inal passé, dans le pèlerinage d’Inal passé parce qu’il fallait faire des choses dans l’improviste. Il fallait prendre une initiative ; une initiative vient toujours d’une personne ou d’une organisation. Donc tout n’a pas été parfait. Mais nous comptons dans l’Inal II, dans la prochaine campagne pour Inal, nous comptons que dès à présent, toutes les organisations prennent leurs responsabilités et prennent des décisions, prennent des initiatives parce qu’étant donné que nous sommes maintenant ensemble,  l’initiative de IRA est maintenant terminée. C’est devenu maintenant la chose de tout le monde. Toutes les organisations doivent s’approprier ce chemin.
Kassataya : Vous leur aviez reproché d’avoir attendu votre invitation. Pourquoi avez-vous attendu l’invitation de l’opposition pour participer à la marche du 12 ?
Biram Ould Dah : Voilà, voilà. Non, ce n’est pas la même chose parce que la marche de l’opposition ou tout le travail que fait la COD n’est pas forcément le travail qu’il faut pour asseoir une démocratie et pour déconstruire le système d’oppression raciale, esclavagiste, le système de dictature ; parce que autant dans le pouvoir il y a toutes les forces obscurantistes qui s’agrippent au pouvoir, les forces de domination, dans l’opposition il y a aussi des pans de l’opposition qui souvent ont le dernier mot, c’est aussi des pans de ce système.
Kassataya : Donc, vous voulez dire que dans l’opposition il y a des forces qui freinent un peu cette évolution vers le changement radical ou le changement profond ?
Biram Ould Dah : Oui, euh,  entre l’opposition et le pouvoir, c’est parfois une lutte au sein du système, c’est une lutte entre deux pans dans ce système. Par exemple le FNDD, nous avons considéré, à IRA nous avons considéré  que durant toute la lutte entre le FNDD et le pouvoir putschiste…
Kassataya : Le front national de Défense de la Démocratie qui s’opposait au putsch de ould Abdel Aziz en 2008.
Biram Ould Dah : Oui, nous avons considéré que c’est une lutte entre les deux bords d’un même système parce que aussi et jusqu’à maintenant, dans l’opposition, par exemple, il y a des idées, des positions, des orientations qui ne sont pas dans l’intérêt du peuple, dans l’intérêt de l’évolution démocratique, de l’évolution de l’Etat de droit, de l’évolution vers l’Etat de droit, vers les droits de l’homme.
Kassataya : Et ces forces dans l’opposition, vous les considérez comme vos adversaires au même titre que le pouvoir aujourd’hui ?
Biram Ould Dah : …nous les considérons comme des adversaires mais pas au même titre que le pouvoir parce que ceux qui sont au pouvoir, c’est eux qui instrumentalisent le pouvoir d’une manière actuelle, qui instrumentalisent le pouvoir d’une manière active pour freiner toute évolution vers l’Etat de droit, vers le respect des droits de l’homme.
Kassataya : Et pensez-vous pouvoir quand même cheminer avec ces forces qui sont dans l’opposition et qui ne sont pas tellement favorables au renversement du système des valeurs en Mauritanie ? Vous pouvez cheminer ensemble ?
Biram Ould Dah : Non, sous des conditions. Nous, nous considérons que nous sommes un troisième pôle, que nous ne sommes pas arrimés ou dissouts au sein de la COD.
Kassataya : Mais certains ont trouvé que vous avez privé l’opposition d’une occasion réelle de mobiliser plus que cela pour faire partir Ould Abdel Aziz. Que répondez-vous à cette accusation ?
Biram Ould Dah : Mais non, nous, nous mobilisons tout le temps
Kassataya : Mais pour cette marche du 12 mars…
Biram Ould Dah : Pour cette marche, nous on a souscrit à la marche mais sous nos conditions. Parce qu’on ne pouvait pas aller à la marche sans poser des conditions à la COD et ces conditions, il faut que la COD, si la COD se dit une véritable opposition démocratique, pour les droits de l’homme, pour l’Etat de droit, pour l’éclosion des libertés en Mauritanie, d’une véritable société de liberté (…), d’un état citoyen, il faut qu’ils prennent en charge les grandes questions que sont les questions du  racisme, des passifs lourds qui sont attachés aux pratiques racistes de l’Etat et de la société. Il faut que la COD prenne en charge les passifs lourds et les actifs encore lourds des cas d’esclavage car il y a encore des pratiques esclavagistes massives et multiformes en Mauritanie.  Il y a des pans de la société, des populations qui luttent contre l’esclavage. Il y a des organisations qui luttent contre l’esclavage et le racisme. Il faut que la COD vienne au chevet de ces populations, aide ces populations, s’investisse et prenne en charge ces grandes questions.
Kassataya : Biram Ould Dah, à qui profite le fait que IRA ne participe pas aux manifestations de l’opposition, objectivement ?
Biram Ould Dah : Quand IRA ne participe pas aux manifestations de l’opposition,
Kassataya : Qui en profite objectivement ?
Biram Ould Dah : Le pouvoir en profite. Le pouvoir… dictatorial ; la gouvernance esclavagiste et raciste en profite dans les rouages de l’Etat en Mauritanie. Mais aussi quand IRA participe sans conditions, aveuglément, avec l’opposition comme des moutons de panurge, ça profite aux idéologues du pouvoir de Ould Taya, comme Ahmed Ould Sidi baba, qui est toujours dans l’opposition, et qui est dans l’opposition, et ça profite à certains bras sécuritaires, certains bras meurtriers du pouvoir de Ould Taya, j’ai nommé Ely Ould Mohamed Vall ; parce que nous ne pouvons jamais oublier les rugissements de Ely Ould Mohamed Vall, lorsqu’il était Président de la transition, à la face des victimes du racisme, des déportations, des exécutions extrajudiciaires en les traitant de Tarzans. Et on ne peut pas oublier son rugissement face de ceux qui réclament la fin de l’esclavage et la criminalisation de l’esclavage. On ne peut pas.
Kassataya : Vous n’êtes donc pas prêt à vous allier avec Ely ould Mohamed Vall et Ahmed Ould Sidi Baba même si c’est pour faire partir Mohamed Ould Abdel  Aziz du pouvoir !
Biram Ould Dah : Pour faire partir Ould Abdel Aziz du pouvoir, oui, je suis prêt à aller mais pas pour que, à la place de Ould Abdel Aziz, je ramène Ould Sidi Baba ou Ely Ould Mohamed Vall. Mais je suis prêt à m’allier avec eux pour affaiblir le pouvoir en place tout en tenant en respect des personnes et des courants comme ces courants respectent le pouvoir.
Kassataya : Mais vous  avez appelé aussi à la mise en place d’un conseil national de transition. Est-ce là la vocation et le rôle d’une organisation de défense des droits de l’homme ? Vous aviez commencé à évoquer cette question et vous avez promis d’y revenir, nous y voilà…
Biram Ould Dah : Nous ne sommes pas seulement une organisation de défense des droits de l’homme. Les organisations de défense de droits de l’homme ainsi que leurs militants ne sont pas neutres dans la lutte pour la démocratie. La démocratie a été instaurée en Egypte, en Tunisie, en Libye et a même elle a été défendue au Sénégal par les organisations de défense des droits de l’homme. Elles ont pris les devants et leurs militants se sont sacrifiés, c’est notre rôle. Je récuse cette dogmatisation qui fait que les militants de droits de l’homme doivent vraiment tourner le dos aux changements politiques. Mais non ! Je considère que notre vocation en tant que mouvement d’idées en tant que mouvement de droits de l’homme, mais en tant qu’organisation de droits de l’homme qui a transformé la lutte pour les droits de l’homme en Mauritanie d’une lutte d’élite vers une lutte populaire, vers une lutte de masse…
Kassataya : Mais avez-vous plus de légitimité que les partis politiques pour faire ce travail-là ?
Biram Ould Dah : Je pense que dans les pays qui ont subi des changements, les partis politiques n’ont pas joué leur rôle dans ces changements…
Kassataya : Sauf que là, la rue a d’abord été conquise, la société civile a commencé par occuper la rue pour renverser le pouvoir et ce n’est qu’après qu’ils ont créé leur conseil national de transition. Pourquoi inversez-vous les rôles ? N’avez-vous pas le sentiment de vous précipiter ?
Biram Ould Dah : Pour ce qui est de la création du conseil national de transition en Mauritanie, la concertation a débuté et continue entre certains mouvements de droits de l’homme, des mouvements de masse et d’idées mais aussi avec certains partis politiques. Donc ce n’est pas seulement l’apanage des organisations de droits de l’homme.
Kassataya : Mais pourquoi faites-vous l’inverse ? Pourquoi ne faites-vous pas comme dans le monde arabe, en commençant par la rue pour finir avec la mise en place d’un conseil national de transition ?
Biram Ould Dah : Peut-être parce que le niveau d’évolution, de la mobilisation populaire et du rejet de la dictature en Mauritanie requiert que nous n’attendions pas, que nous ne puissions pas calquer les plans d’action qu’ont revêtu les changements ailleurs. Peut-être, chez nous, notre société, l’évolution mentale et sociétale, le niveau de la résignation, requièrent que certains mouvements, que certains individus prennent les devants pour pouvoir ensuite, avec un activisme débordant, entraîner avec eux le reste des mouvements, des partis et des populations ?
Kassataya : Donc CNT, politique, et puis Limam Chaafi qui, récemment, est monté au créneau comme étant aujourd’hui l’un des adversaires les plus dangereux ou menaçants au régime d’Ould Abdel Aziz. Vous ne cherchez pas à provoquer un peu ? Ce n’est pas beaucoup pour un militant des droits de l’homme ?
Biram Ould Dah : Non, ce n’est pas beaucoup ! C’est juste le devoir qui nous appelle, je pense même qu’on n’a pas encore fait assez. Notre devoir en tant que défenseurs des droits de l’homme, c’est d’abattre le monstre. Et le monstre c’est le pouvoir qui confisque les libertés, qui protège les véritables prédateurs des droits de l’homme qu’ils soient esclavagistes ou racistes ; un pouvoir qui s’est mué en pouvoir d’une personne, j’ai nommé le général Aziz, un pouvoir d’une tribu ; un pouvoir de certains hommes de main, acolytes du général qui ont transformé les hommes d’affaires en esclaves, en les mettant en dehors du pays, en freinant leur développement et qui ont aussi constitué des systèmes de répression pour toutes les autres franges de la population même arabo-berbères dans le cadre de leur évolution normale, de leur économie, de leur déploiement. Je considère que ce pouvoir qui a encore rétréci le champ des libertés et qui a repris aux hommes libres ce qu’ils avaient, est un pouvoir aussi menaçant pour les couches traditionnellement opprimées que pour celles qui étaient traditionnellment libres depuis toujours. Donc je considère que c’est notre rôle de faire un sursaut contre cette réaction du pouvoir du général Aziz qui a encore rétréci le champ des libertés.
Kassataya : Où en est aujourd’hui le CNT ?
Biram Ould Dah : La fois passée nous avons donné un délai de trois mois, c’est un délai requis par tous les partenaires qui sont impliqués dans cette entreprise. Nous sommes en concertations avec plusieurs organisations et plusieurs partis politiques. Et je pense que bientôt il y aura des journées de concertation… à Nouakchott auxquelles seront invités tous les mouvements civils et partis politiques mauritaniens…
Kassataya : C’est un gouvernement bis que vous allez mettre en place ?
Biram Ould Dah : Je pense que le CNT mauritanien revêtira le caractère adéquat …pour amener le maximum des forces démocratiques, progressistes mauritaniennes à s’investir avec la plus grande ardeur dans une lutte sans merci pour dégager la dictature du général Aziz
Kassataya : Qu’en est-il aujourd’hui de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie et de la place des Haratines sur l’échiquier politique ?
Biram Ould Dah : Je pense que la place des Haratines sur l’échiquier politique devient de plus en plus grande. Parce que par essence cette communauté est appelée à être le leader du changement en Mauritanie ; parce qu’on a constaté que la mobilisation de toutes les communautés en Mauritanie au sein de IRA est très grande, particulièrement celle des Haratines est particulièrement remarquable.
Et bien que l’esclavage soit pratiqué à une très grande échelle, les derniers combats de IRA ont créé la panique au sein des milieux et des foyers esclavagistes…
Kassataya : La condamnation en novembre dernier de personnes pour fait d’esclavage, ça vous rassure, c’est une avancée pour vous ou c’est du surplace ?
Biram Ould Dah : C’est quelque chose de gagné de haute lutte par les membres de IRA. Mais je considère qu’il y a un autre tranchant du couteau, c’est que l’Etat a utilisé cette unique condamnation pour épater la communauté internationale pour justifier un statu quo qui continue sur beaucoup de grandes affaires, inhumaines et criminelles de l’esclavage que IRA a portées devant les tribunaux mauritaniens et auxquelles les juges ne répondent pas favorablement à cause de la consigne donnée par le dictateur, le général Mohamed Ould Abdel Aziz à ses gens de ne pas condamner les crimes d’esclavage.
Kassataya : Où se situent les Haratines ? Entre les Arabo-berbères et les Négro-Africains ou une entité à part ? Pensez-vous que votre évolution puisse se faire avec ceux avec lesquels vous avez eu des rapports culturels jusqu’ici ou plutôt avec ceux qui considèrent que vous êtes leurs frères par rapport à la couleur de la peau ? Où vous situez-vous ?
Biram Ould Dah : Je pense que considérer que nous sommes des frères à cause de la couleur de la peau, c’est  superficiel et erroné parce que l’esclavage n’a pas de couleur de peau  et on peut à la fois être noir et esclavagiste et ça c’est connu surtout pour les Mauritaniens.
Kassataya : Donc les Haratines restent dans la sphère arabe pour vous ?
Biram Ould Dah : Les Haratines ne peuvent en aucun cas rester dans la sphère arabe. Parce que ça signifierait la continuité de l’esclavage, …le dressage culturel et idéologique contre l’Etat de droit, contre les populations noires. Nous revenons de loin parce que nous ne n’oublions pas les évènements de 89 et 90 ainsi que les tueries dans l’armée qu’ont subies les Noirs dans les rues, les pogroms de Nouakchott. Les Haratines ont été le bras meurtrier utilisé par les Maures, par l’Etat maure, par les racistes maures. Mais aussi n’oublions pas que les fils de grandes cases parmi les communautés noires, qu’ils soient Soninkés, Wolofs, Peuls ou Bambaras, c’est parmi les fils de grandes cases qu’on a recruté le corps des indicateurs. Ce corps a vraiment joué un rôle extraordinaire dans le nettoyage ethnique de leurs propres communautés.
Kassataya : Ça fait beaucoup de gens que vous avez sur le dos dans les deux communautés. Donc vous renvoyez dos à dos les familles des grandes cases dans les communautés arabe et Négro-Africaine.
Biram Ould Dah : Jusqu’à maintenant ils jouent le rôle de mercenaires contre leur communauté. Qui sont partis à Bruxelles et à Genève dire qu’il n’y a jamais eu de déportation, qu’il n’y a jamais eu de morts, qu’il n’y pas de veuves, pas d’orphelins ? Qui ? Ce sont les fils de grandes cases de toutes les communautés noires qu’ils soient Soninkés ou Wolofs. Vous vous rappelez de Yahya Kane, de Sada Kane, de Sidna Sokhna, de Diop Mamadou Samba Hawoyel, la liste est longue. Jusqu’à maintenant, il y a encore des nègres de service qui jouent....
Maintenant, Ould Boilil, Bomba Ould Dramane, ces Haratines-là, sont ceux qu’utilise Ould Abdel Aziz contre les autres Haratines.
Kassataya : Vous évitez toujours Messoud ould Boulkeïr et Boidiel ould Houmeid qui sont dans le camp de la majorité ?
Biram Ould Dah : Non, je considère que Boidiel Ould Hoummeid et Messaoud Ould Boulkheir sont maintenant dans le camp qui s’oppose à l’émancipation des Haratines. C’est ce que je consière.
Mais il y a une idée que je n’ai pas développée. Je considère que les Haratines sont une communauté à part qui a conquis son identité dans l’endurance multiséculaire contre l’esclavage, contre le mépris qui vient de toutes les communautés ; qui ne vient pas seulement des Berbères et des Arabes ; mais aussi des Peuls, des Soninkés, des Wolofs et des Bambaras. Ils méprisent les Haratines autant que les Maures.
Mais il faut préciser aussi, ce que je récuse, c’est qu’on dise pourquoi je ne traite pas l’esclavage dans les milieux Peul, Soninké ou Wolof ?  Ce sont mes adversaires et l’Etat mauritanien qui me le reprochent souvent. L’Etat dispose de policiers, de juges, il voit des l’esclavage chez les Soninkés, les Soninkés, les Wolofs, les Bambaras et les Peuls, alors pourquoi il ne s’en occupe pas ? Parce qu’il ne trouve pas de cas d’esclavage avéré comme nous l’avons fait. Donc la dimension de caste de l’esclavage, en tant que castes sociales, stratification sociale, cette dimension existe dans toutes les communautés. Même les harratines qui ne sont pas esclaves, qui sont affranchis, ils sont castés en même temps que les les « Mathioubé » chez les Peuls, les « Komé » chez les Soninkés et les « Diaam » chez les Wolofs. Ils sont castés les Harratines ; ils sont censés être libres mais ils sont castés, endogames on leur impose… ; ils subissent un certain mépris, un mépris clair contre lequel on ne peut rien faire.
Mais en dehors de tout ça, la communauté maure a ses esclaves. Donc il y a une autre domination, une autre exploitation qui a une dimension économique, de travail sans repos et sans salaire, une dimension de captation d’héritage, de séparation de familles, de mise en péril de la scolarité des enfants, de domination, d’exploitation de l’homme par l’homme qui existent en milieu maure qui continuent à fonder leur mode de vie ; car les arabo berbères continuent à fonder leur mode de vie sur l’esclavage et qui n’existe pas chez les Soninkés et les Peuls, les Wolofs ou les Bambaras parce que ces gens-là travaillent avec leurs mains. Dans la communauté Maure, dans leur code d’honneur, ils ne peuvent pas effectuer les travaux ménagers avec leurs mains, ils ne peuvent pas faire des travaux d’endurance, les travaux sous le soleil, donc c’est  pourquoi ils ont des esclaves.
Donc nous, l’esclavage que nous dénonçons devant les tribunaux, ce sont les pratiques esclavagistes qui ont la dimension de travail sans repos et sans salaire, de séquestration des enfants, séparation de familles, de viol de femmes, de mise en péril de la scolarité des enfants. Et ça existe seulement en milieu maure. C’est pourquoi, les éléments constitutifs du crime d’esclavage dans la loi mauritanienne s’appliquent à ce que font les Maures. Et on ne peut pas nous demander de traîner les Peuls, les Soninkés et les Wolofs devant les tribunaux alors qu’il n’y a pas ce genre de cas. Et si l’Etat nous le reproche pourquoi il ne part pas les prendre avec ses juges et ses policiers ? Pourquoi nous attend-il ?



 Propos recueillis par Abdoulaye Diagana le 1 avril 2012. Existe en version vidéo.

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