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mardi 6 décembre 2011

Par ce temps de révolution, les meneurs sont-ils des hommes du peuple ?


Certains mauritaniens semblent aujourd’hui ne plus jurer que par la révolution. Ce fait, rétorquent-ils, est consécutif au niveau de déliquescence et d’usure du pouvoir, d’une part, et la dégradation des conditions de vie des citoyens, d’autre part. Sans rentrer dans la polémique, je dis que nul ne peut ignorer la crise dans laquelle se débat aujourd’hui le pays.

Mais l’attribuer au seul pouvoir alors que même s’il nous est arrivé, dans notre rejet du coup d’Etat, de nous inscrire en faux avec lui en le dénonçant et l’incriminant, nous avons aussi accepté à raison ou à tort de le reconnaître comme partenaire dans la gestion des affaires publiques de l’Etat en signant l’accord cadre de Dakar.

Prenant comme toujours « (la mauvaise) habitude de considérer (nos) rêves de pouvoir pour la réalité » nous avons accepté de nous engager dans une élection que tout le monde savait perdue d’avance. En plus quel est le parti de l’opposition qui n’a pas fini par reconnaître Mohamed Ould Abdel Aziz ?

Rien ne nous y obligeait mais nous l’avons fait. Alors il nous revient, au nom de la logique, le devoir d’être cohérent et d’assumer nos décisions, fussent-elles décevantes.

S’agissant maintenant de la révolution et de sa magnificence, au-delà du fait que cela constitue une reconnaissance de fait que nous en sommes arrivés à un point de non-retour, c’est aussi un appel sans détour à la confrontation et donc à la violence. Le va-t-en-guerre lisible en filigrane dans les déclarations, dans les communiqués et les interviews qui ne manquent de rien que de l’essentiel : savoir poser les problèmes avec réalisme et sang froid, loin de la surenchère et la démagogie. On y va sans gants ni pincettes. Pas de pragmatisme. Pas de praxis.

A ce fait s’ajoutent les insinuations insidieuses tout comme les manœuvres populistes et machiavéliques d’instrumentalisation des souffrances humaines ; des courbettes, par-ci, des clins d’œil, par-là. Tous les prétextes sont bons pour s’arrimer sur l’orbite des organisations des droits de l’homme dont pourtant les responsables n’échappent pas à la vindicte et la diffamation des idéologues de la révolution qui les accusent dans leurs réunions de racistes, d’extrémistes et de divisionnistes.

Que l’appel à la révolution soit spontané, c’est logique. Que la révolution soit conçue par le peuple et pour le peuple, c’est concevable. Qu’elle exprime les revendications sincères des masses populaires écrasées, les victimes de l’injustice et des dénis de droits, c’est permis et même légitime. Car nul n’a le doit de mépriser le peuple ni s’opposer à sa volonté. Aucune voix n’est au-dessus de celle du peuple.

Mais pourvu que ce soit lui, le peuple et non des instigateurs de révoltes, ces thuriféraires de la sclérose exactement, les mêmes qui chantaient naguère les privilèges de la race, le droit de naissance et qui rivalisaient de plaidoyers pour nier l’existence de l’esclavage ou le rebaptiser séquelles selon le jargon des partisans du marxisme aplati. Ceci est d’autant plus absurde que les partis politiques s’érigent en officine de fabrication de rhétorique de diversion et de calomnie se dérobant ainsi à leur mission originelle comme cadre de promotion et d’ancrage des valeurs de dialogue, de tolérance et de paix.

D’où que cela puisse venir, ces agissements dénotent un aveu d’échec cinglant et un sentiment de déchéance politique sans précédent. Cela exprime-il l’état d’esprit d’une partie de la classe politique qui serait aujourd’hui aux prises avec le doute et à l’usure faute de pouvoir se faire comprendre ? Je souhaite que non ! Car nos partis savent, à ce que je sache, que c’est l’opposition qui a eu le mérite d’avoir mis le pays sur l’orbite de la démocratie contre la volonté du pouvoir de l’époque et c’est à elle que reviendrait aussi le devoir d’en défendre les nombreux acquis dont les gestions pluralistes communales, la polyphonie des voix sous l’hémicycle du parlement…, n’en déplaise aux sceptiques.

Par ailleurs, la démocratie comme un processus tire ses lettres de noblesse de sa longévité. Mais c’est un fleuve dont les eaux se renouvellent ; une somme d’expérience dont les acteurs se doivent de s’adapter aux conjonctures. C’est dire que sa pratique requiert l’usage d’approches rationnelles libérées des stéréotypes et de schèmes pensées aux relents pervers.

A ce niveau d’analyse, on se doit d’avouer que s’il devait avoir en Mauritanie une révolution, et il devait effectivement y en avoir, l’arrestation attentatoire et rébarbative en 1980 des leaders d’El Hor, dont le seul crime fut d’avoir exigé que fin soit mise à l’esclavage fallacieusement légitimée au nom de Dieu aurait du en constituer une raison évidente. Cependant cela n’émut que peu ou prou au point que bon nombre d’avocats de la défense ne prirent par au procès. Tel fut le cas du sénateur Yahya Ould Abdel Ghahar et acabit.

Plus arrogant fut l’avocat Ould Lehbib qui refusa la défense des abolitionnistes en se targuant d’être maître d’esclaves et pactisant avec la féodalité qui les accusait d’apostasie les militants antiesclavagistes. On n’a pas vu nos prêtres improvisés dont la liturgie rime à tout vent avec révolution. Il n’y avait ni les gauchistes du MND et leurs frères siamois, ni les libéraux et leur gourou chef général de tribu. Tous semblaient tirer leur épingle du jeu.

S’il devait y avoir une révolution, et il devait y en avoir, pourquoi pas quand une kyrielle aux idéologies meurtrières, sectaires et séparatistes a pris en otage la Mauritanie et instaurée à feu et à fer une école bicéphale ; une véritable machine-rhinocéros ayant produit deux types de citoyen qui ne se parlaient pas. Pas parce qu’ils ne voulaient pas mais parce qu’ils ne se comprenaient pas. Cette bêtise humaine fut commise au nez et barbes de nos penseurs improvisés dont le silence nous tua. On nous conçut contre notre volonté et on nous enfanta au gré d’une naissance césarienne pour répondre au caprice d’un roi fou résolu à refuser le Sud et le Nord le refuse.

S’il devait y avoir une révolution, et il devait y en avoir portant, le moment idéal aurait été ce moment où l’incarnation du système dominant arrêta l’éminent historien Tène Youssouf Guèye et ses camarades dont le seul tort était d’avoir crié qu’ils sont différent et qu’ils s’érigeaient contre l’ostracisme. Et tout le monde semblaient ravis de leur sort puis de leurs morts !

S’il devait y avoir une révolution, et il devait vraiment en avoir, c’était ce jour-là où nous foulâmes au grand regret le ramadan, un des cinq principaux piliers de l’Islam sous nos pieds et nous égorgeâmes, nous violâmes, nous déportâmes, nous usurpâmes… Et que sais-je encore ! Tout cela au nom du racisme et la barbarie. Peut-on aujourd’hui le nier ?

S’il devait y avoir une révolution, et il devait y en avoir justement, ce devait être pendant ces années de braise où des fosses communes s’ouvrirent grandement comme les gueules hideuses de Satan et avalèrent les charniers, étouffèrent l’odeur putride des corps ; ces années où des mauritaniens de souches écartelèrent, déchiquetèrent, criblèrent de balles des mauritaniens de souche, leurs frères de sang et d’armes, comme des ennemis exterminés sur le champ de guerre. Le motif, ce n’est ni plus ni moins qu’ils sont nés nègres et don différents…

S’il devait y avoir une révolution, et il devait en avoir, pourquoi pas à la suite de l’élection de 1992 quand on tira à bout portant sur les militants entourant Boubacar Ould Messaoud et ses amis devant le siège de l’UFD, à Nouadhibou tuant quatre négro-africain. C’est l’élection au cours de laquelle disparut le wali de Nouadhibou. Jamais on ne reparla des opposants massacrés, ni du wali éploré. 15 jours après ce drame, on libéra Boubacar tandis qu’Ould Taya recevait Oulde Babah à la présidence de la République comme si rien n’était.

S’il devait y avoir de révolution, et il devait en avoir en son temps, c’était quand les généraux et parlementaires de la fronde se sont ligués prenant en otage la légalité constitutionnelle et la Mauritanie toute entière ; quand les légalistes ont investi la rue s’opposant à l’usurpation du pouvoir par la force et le mépris de la volonté du peuple.

S’il devait y avoir une révolution, et il devait y en avoir, pourquoi pas en 2009, c’était quand, ensemble, les partis du FNDD ont décidé de porter Messaoud Ould Boulkheïr à l’élection présidentielle, chose à laquelle seuls les islamistes de Tawassoul avaient dérogé. Même leur aile communément dite progressiste ne cachait pas son embarras quant à toute éventualité de soutenir un candidat hartani, sous prétexte que leurs bases ne suivraient pas !

Mais ironie du sort, ce sont certains cadres de ce même parti qui multiplient aujourd’hui les initiatives, souvent en aparté avec l’intelligentsia Hratin en tentant de l’amener à prêcher la révolution. L’objectif n’étant pas plus de bâtir un Etat moderne que de vouloir reproduire le scénario libyen, tunisien, marocain et égyptien. Pourquoi aller à la conquête du pouvoir d’abord ?

Et nos problèmes socioculturels pendants dont ils assument en grande partie une responsabilité, du fait du silence de leurs, marabouts, leurs théologies, leurs idéologues, entre autre leur père spirituel Mohamed El Hassan Ould Daddew qui se refuse de tout commentaire sur l’esclavage en dépit des appels itératifs de tous les abolitionnistes ?

S’il devait y avoir une révolution, et il devait y en avoir, pourquoi notre inertie face à la grève de faim des antiesclavagistes (Boubacar Ould Messaoud, Biram Ould Dah Ould et Aminetou Mint El Mocta) ayant tenu en haleine, trois jours durant, l’opinion publique nationale et internationale, à la suite de la révélation, de trois cas d’esclavage avérés le même jour ? Et la récurrence des sit-in mobilisateur des populations réclamant l’application de la justice et les respects des droits pourquoi n’a-t-elle pas fait des émules ?

Et si les thuriféraires de la révolution sont réellement sincères pourquoi ont-ils Boycotté la commémoration d’Inal organisée par le mouvement abolitionniste comme si c’était un non-événement ? Où étaient-ils les révoltés à tout à vent ? Dormaient-ils quand on réprimait dans le sang « Ne touche pas à ma nationalité » ? Comme à chaque fois en de pareille situation, nous n’avons entendu que les froufrous des feuilles de papier. Encore les déclarations. Pas une seule action forte de solidarité.

Que de causes justifiaient l’enclenchement d’une révolution ! Mais toutes furent ignorées. D’abord, parce qu’elles étaient perçues comme préjudiciables à la stabilité, la sécurité et la pérennité du système préétabli que les uns et les autres des deux bords politiques défendaient et défendent toujours avec acharnement. Ensuite, parce que les valeurs comme l’abolition, l’émancipation, le retour des déportés, restaurer le droit des victimes, la répartition équitable des richesses et l’application de la discrimination positive sont à leurs yeux autant de facteurs de risque et de déséquilibre.

Et quand vous leur posez la question « de quel déséquilibre s’agit-il ? », ils vous rétorquent : « Que de déséquilibres il y en a. Allez, on compte ! Le déséquilibre ethnique, le déséquilibre démographique, le déséquilibre régional et que sais-je encore. » Mais ce qu’on ne dit pas, en fait, c’est que derrière tous les dits et les non-dits réside une seule chose : la volonté de préserver la domination sociopolitique en vue de maintenir un système fondé sur l’injustice.

Que les populations écrasées, victimes de toutes les formes d’injustices imaginables aient frayé leur propre route et fait leur bonhomme de chemin vers l’acquisition de la plénitude de leurs droits, aux prix de combats acharnés avec leur cortège de martyrs et de martyrisés, on crie révolution ! C’est absurde ! Car personne n’est dupe. Tout le monde comprend les raisons de telles agitations. C’est parce que, quelque part, à l’Orient et au Maghreb qui nous fascinaient les peuples s’agitent, le printemps déboulonne les statues !

C’est parce que dans l’euphorie du mimétisme, nous nous étions habitués à aller chercher nos idéologies meurtrières sur les rives mythiques de l’Euphrate et du Nil, et c’est pourquoi on pense, qu’aujourd’hui encore, nous allons y retourner pour « (…) apprendre l’art de gagner sans avoir raison ».

On se trompe si l’on pense que le peuple c’est des moutons de Panurge ! Le peuple s’opposera aux révolutions les moins réfléchies et les moins honorables ; celle qui ne vise le remplacement d’un homme par un autre. Car la révolution la vraie c’est la révolution faites dans les idées et les mœurs ? Napoléon 1er avait raison de dire, dans ce cadre, que « Dans les révolutions, il y a deux sortes de gens : ceux qui les font et ceux qui en profitent. » Et cela les populations le savent.

Ethmane Ould Bidiel
Professeur

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