Translate

lundi 5 décembre 2011

Comité Inal Sénégal: Contribution : crimes contre l’humanité et crimes de génocide en Mauritanie Et la question de l’impunité


 
 
Comité Inal Sénégal Contribution : crimes contre l’humanité et crimes de génocide en Mauritanie
  Et la question de l’impunité                          


« Dahirou réclame toujours son cousin. Cela finit par irriter les soldats qui s’acharnent à nouveau sur lui. Vers minuit, je ne l’entends plus. La relève des sentinelles me permet d’avoir une idée approximative du temps. Le capitaine Sidina repasse pour nous confirmer que tous les gradés peuls, soninkés et wolofs seront arrêtés et qu’il ne restera pas un seul militaire négro –mauritanien dans l’armée. La nuit se passe dans cette ambiance, tortures, eau glacée, claquements de dents et cris de douleurs…le 27 novembre dans l’après-midi, des prisonniers sont choisis dans les hangars et sont marqués d’une croix avec un feutre bleu. Plus tard, ils se voient attribuer des numéros allant de vingt à vingt-huit par le capitaine ould Demba… vers minuit, le groupe des prisonniers numérotés est placé devant le grand hangar… Khattra et d’autres mettent en place des cordes... Diallo Abdoulaye Demba…porte le numéro un. Pendant que Khattra lui passe lui passe le nœud  de la corde  autour du cou, il tourne la tête  vers le hangar comme pour solliciter de l’aide, la dernière image de la vie qu’il emportera avec lui sera ces sombres formes allongées ou assises étroitement ficelées et dont les yeux exorbités ne peuvent se détacher  de lui. Avec l’aide d’un autre soldat, Khattra le hisse jusqu'à ce que ses pieds ne touchent plus terre…D’autres prisonniers suivent…Quand arrive le tour de Diallo Oumar Demba et son frère Diallo Ibrahima…chacun ne voulant pas assister à la mort de l’autre, demande à passer le premier…un tirage au sort organisé par les bourreaux les départage, Ibrahima Demba, l’ainé, passe le premier…Samba Coulibaly, un soldat de mon escadron, qui porte le numéro vingt-huit ferme cette marche .»
Ce témoignage est extrait du livre de Mahamadou Sy intitulé  L’enfer d’Inal « Mauritanie : l’horreur des camps.»Le camp militaire d’Inal  est  à 255km de Nouadhibou, la capitale économique de la Mauritanie  située au nord du pays. L’horreur ici décrite n’est pas un acte isolé, il a  eu lieu en d’autres lieux et dans d’autres bases militaires, pour ne citer à titre d’exemples que celles de Jereida, Azlat. Elle s’inscrit dans les violations massives des droits de l’homme, perpétrées en Mauritanie  entre 1989 et 1991, à la suite de ce que l’on appelle communément le conflit Sénégalo-mauritanien. Elles se sont traduites : par des déportations massives de populations exclusivement négro-mauritanienne ; des exécutions sommaires dont ces populations ont été victimes ; des pogroms opérés dans les corps de l’armées mauritanienne et des services de sécurité à l’encontre des éléments négro-mauritaniens ; l’existence de fosses communes ; des expropriations et des vols de biens à grandes échelles ; des licenciements administratif abusifs ; des viols et autres traitements inhumains et dégradants.
L’impunité par rapport à ces crimes commis par le régime militaire du colonel Sidi Ahmed ould Taya se manifeste explicitement à travers la loi d’amnistie qu’il fera voter le 14 juin 1993, par une assemblée nationale qui lui est entièrement soumise. La levée de boucliers qui suivit la proclamation de cette amnistie, de la part de la société civile mauritanienne et notamment des ayants-droit des victimes montre que l’immunité octroyée aux responsables des violations massives des droits de l’homme susmentionnées trahit  les principes qui sous-tendent l’acte d’amnistie dont la fonction sociale est d’apaiser les esprits et de favoriser la réconciliation.  A cet égard, il est légitime de s’interroger quant à savoir ce que vaut  alors l’article 2 de cette loi d’amnistie de 1993 qui stipule que « Toute plainte, tout procès- verbal ou tout document d’enquête relatif à cette période et concernant une personne ayant bénéficié de cette amnistie de 1993 sera classée sans suite. » Cette amnistie n’a pas  entravé les travaux de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). Le 11 mai 2000 à Alger, la CADHP a reconnu qu’il y a eu « pendant la période allant de 1989 à 1992, des violations  graves et massives  des droits de l’homme commis par le gouvernement mauritanien et tels qu’énoncés dans la charte africaine. C’est ainsi qu’elle a recommandé à l’Etat mauritanien, qui est partie de la charte, entres autres recommandations : «  d’ordonner l’ouverture d’une enquête indépendante afin de clarifier le sort des personnes disparues ; d’identifier et de traduire en justice les auteurs des violences perpétrées à l’époque des faits incriminés et de prendre des mesures diligentes en vue de la restitution de leurs pièces nationales d’identité aux ressortissants mauritaniens auxquels celles-ci ont été retirées au moment de leur expulsion ; d’assurer le retour de ces derniers en Mauritanie ainsi que la restitution de leurs biens dont ils ont été spoliés au moment de ladite expulsion et de prendre des dispositions nécessaires en vue de la réparation des dommages subis par les victimes des événements susmentionnés    … »
Si la première réprimande internationale est survenue onze ans après ces tragiques événements, la première condamnation en justice émane de la cour d’Assise de Nîmes  en France , qui a condamné, en  juillet 2OO5,  le capitaine mauritanien Ely ould Dah, par contumace, à la peine maximale de dix ans de réclusion, pour crimes de tortures sur des militaires négro-mauritaniens. Le deuxième acte de justice qui  s’est intéressé aux violations des droits de l’homme en Mauritanie renvoie à la plainte déposée par l’Association des veuves et orphelins de militaires mauritaniens(Avomm), en Belgique, en  mai 2006, contre Ould Taya et qui a été  jugée recevable par des magistrats belges. Celle-ci s’inscrit dans l’évolution de la plainte déposée en 2002 par les parents des militaires  mauritaniens exécutés en 1987 suite à la production d’un manifeste jugé « séditieux » par les autorités mauritaniennes de l’époque.   Ces plaintes seront renforcées plus tard par celles émanant de déportés mauritaniens au Sénégal. Cette plainte  jugée  recevable, en 2006,  se justifie au regard de la compétence universelle qui  donne la possibilité de juger un crime commis n’importe où, par un tribunal étranger. Cela devient possible dans le contexte belge, pourvu qu’au moins un des  plaignants soit de nationalité belge  et que l’accusé ne bénéficie pas d’une immunité et ce qui n’est plus le cas de Sidi Ahmed ould Taya qui est un président déchu et  exilé au Qatar. Cette plainte de l’Avomm fait  l’objet d’un  suivi comme en témoignent les  entretiens fréquents que l’association a avec l’avocat  belge Marc Libert.
La destitution du régime d’ould Taya en 2oo5 ouvre une ère nouvelle. En effet, en faveur du coup d’état contre  l’ancien président ould Taya dirigé par le général ould Abdel Aziz  et qui a permis l’accession  au pouvoir de  Monsieur Sidi ould cheikh Abdallahi, à la suite d’une élection présidentielle démocratique, l’espoir de voir réparer les crimes commis par le régime politique antérieur était permis. Dans son discours du 29 juin 2007, trois mois après son  élection, le president Sidi ould Cheikh Abdallahi engage la responsabilité de L’Etat mauritanien par rapport aux violations des droits l’homme susmentionnés et s’engage à les réparer pour « la consolidation de l’unité nationale. »  A ce propos son discours est explicite : « au cours des années 8O, notre pays a été le théâtre d’atteintes massives des droits de l’homme…assumer cette part de notre passé requière de faire preuve de tolérance…ce genre de pratiques absurdes ne pourra plus se produire, c’est également pour cela que la recherche des voies et moyens appropriés pour le retour et dans la dignité des concitoyens  réfugiés, le règlement du passif humanitaire et l’éradication de l’esclavage ne cessent de mobiliser nos efforts .»
L’organisation des journées nationales de concertation et de mobilisation pour le retour des réfugiés et le règlement du passif humanitaire des 20, 21,22 novembres 2OO7 ont conclu à la suite de ses  travaux à la création de commissions nationales devant garantir le succès de la réconciliation nationale. Si une commission nationale d’orientation et de concertation pour le retour des réfugiés a vu jour sans avoir jamais fonctionné, ce ne sera même pas le cas de la commission nationale indépendante censée régler la question du «  passif humanitaire ». Celle-ci ne verra jamais le jour. En raison principalement du coup d’Etat perpétré en aout 2008 contre le président démocratiquement élu Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Ce coup d’Etat militaire du général Mohamed Ould Abdel Aziz va ruiner la possibilité d’une véritable réconciliation nationale en Mauritanie. Le régime putschiste du général  Abdel Aziz plutôt que de favoriser la création d’une commission nationale pour le règlement du « passif humanitaire  » va plutôt  favoriser la signature, le 24 mars 2OO9, à la présidence de la république, d’une convention entre certains membres d’une organisation de victimes de la répression dénommée COVIRE  et le comité interministériel pour le règlement du passif humanitaire. Aussi, dans le cadre  du processus du règlement du « passif humanitaire » une commission sera chargée de faire le recensement des gens prétendant être des victimes et dont la liste sera envoyée à la commission du passif humanitaire. Ce recensement préparant le terrain des réparations se révélera être une arnaque dont seront victimes certains ayants-droit à qui on fera signer subrepticement avec leurs empreintes un protocole devant attester qu’ils ont reçu une allocation d’un montant s’élevant entre 1 8OO OOO d’ouguiyas et 2 OOO OOO d’ouguiya à titre de réparation définitive du préjudice subit, selon l’article 4  dudit protocole. Celui-ci stipule aussi que les «  ayants-droit déclarent solennellement l’accepter et renoncent à toute réclamation, toute plainte quel que soit leur nature et toute action individuelle ou collective qu’ils ont pu intenter soit directement ou par l’intermédiaire de mandataires devant toute instance nationale ou internationale. » Pour couronner cette arnaque, le 25 mars 2009, à Kaédi, ville située au sud de la Mauritanie à la frontière avec le Sénégal, sera organisée une cérémonie de prières aux morts et Aux victimes du « passif humanitaire », en présence du président du Haut Conseil d’Etat, l’organe putschiste du coup d’Etat de 2008. A cette cérémonie qui a reçu l’onction d’Ulémas à savoir de soi-disant dignitaires religieux mauritaniens, le général  Abdel Aziz entend tourner une page « d’atrocité et de grandeur d’âme où le pardon et la miséricorde l’ont emporté sur l’aveuglement et l’obstination. »
De ce qui précède, nous voulons faire quelques remarques utiles et ouvrir des perspectives pour de futures actions. Tout d’abord, nous tenons à dire que le pardon ne saurait être accordé que par les victimes et les ayants-droit pour les préjudices qu’ils ont subis et il ne saurait s’accommoder de mensonge et de l’auto-amnistie. L’annonce des autorités mauritanienne le 18 mai 2011 d’identifier et de marquer des personnes tuées sous les anciens régimes doit, pour conduire à une quelconque réconciliation, s’accompagner de l’identification de leurs bourreaux. Rien de surprenant à cette situation mauritanienne dans la mesure où les responsables de violations spécifiques des droits de l’homme comme les crimes contre l’humanité ou de génocides exercent l’impunité lorsqu’ils se trouvent souvent chargés des enquêtes et sanctions concernant les dites violations en omettant de remplir leur devoir. C’est pourquoi la responsabilité incombe à tant à l’Etat qu’à toute autre personne de droit international qui favorise, autorise ou n’empêche pas de telles violences alors qu’il en a la capacité. A cet égard, on comprend mal le long silence de la communauté internationale par rapport aux violations massives des droits de l’homme en Mauritanie. Par ailleurs, nous pensons qu’il convient de préciser qu’il est admis que l’Etat mauritanien s’est livré à des crimes de déportation, des opérations de nettoyage ethnique qui ont débouché sur des crimes de tortures et de sang de caractère raciste. Aussi, il faut situer toutes ces exactions dans les cadres généraux de crimes contre l’humanité et de crime de génocide tels que les définissent, d’une part le tribunal pénal International de 1945, et d’autre part la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide approuvée le 9 décembre 1948, à la veille de la déclaration universelle des droits de l’homme :
-          Les crimes contre l’humanité, c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout acte inhumain commis contre toute population civile avant ou pendant la guerre…
-          Les génocides sont définis comme l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire en tout ou partie un groupe national ou ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres du groupe, atteinte à la mentalité physique ou mentale des membres du groupe, soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence ayant entrainer sa destruction  physique totale ou partielle, mesure visant à entraver les naissances au sein du groupe, transfert forcé d’enfant du groupe à un autre…
Les articles 7 et 6 du statut de la cour pénale internationale reprennent ces définitions des crimes contre l’humanité et génocide telles  que susmentionnées.
Aussi, faut-il préciser que le terme «  passif humanitaire » utilisé pour qualifier les crimes contre l’humanité et les crimes de génocides commis, en Mauritanie, est un euphémisme. Un euphémisme qui tente d’atténuer ou peut-être de masquer le caractère grave et massif de ces crimes. Par ailleurs, dans le même ordre d’idée, il ne convient plus d’utiliser le terme de réfugiés pour désigner les personnes déplacées par la force au Sénégal et au Mali,  c’est le terme de déportés qu’il leur convient. Le statut de Rome de la cour pénale internationale entend « par déportation ou transfert forcé de population…, le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d’autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motif admis en droit international.»Il est clairement établi qu’entre 1989-1991 les autorités mauritaniennes, par l’utilisation de ses forces armées et de sécurité ont exécuté un vaste programme planifié d’expulsion de ses citoyens négro-mauritaniens au Sénégal et au Mali et dont le sort au Sénégal n’est pas enviable dans la mesure où après leurs  reconnaissances prima facié par le Sénégal depuis plus de vingt-deux ans et qui n’est que théorique, ces déportés ne bénéficient toujours pas d’un statut administratif leur permettant de mener des activités et de se déplacer librement. A cet égard nous pouvons  dire incontestablement que le Sénégal viole la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Soulignons au passage, que suite à la signature d’un accord tripartite cosigné par la Mauritanie, le Sénégal et Le haut commissariat des nations unies pour les réfugiés, le 12 novembre 2007, organisant le rapatriement des déportés mauritaniens au Sénégal, il a été procédé au rapatriement de près 20000 personnes. Cet accord tripartite signé sous le régime du président Sidi a fait beaucoup d’émules, mais l’arrivée au pouvoir du régime militaire du Général Aziz change tout. L’émulation qui était au départ dans le milieu des déportés concernant le retour au pays s’est émoussée, pour laisser place au doute et au  découragement. La confiance ne règne plus. Plus de vingt milles déportés mauritaniens au Sénégal ont décidé de prolonger leur exil au Sénégal en attendant un climat politique plus serein en Mauritanie  pour envisager leur retour. Les tirs à balles réelles par les forces de sécurité mauritaniennes qui ont causé un mort et des blessés parmi  des jeunes manifestants négro-mauritaniens qui dénonçaient le recensement discriminatoire en cours en Mauritanie, qui vise à écarter les négro-mauritaniens du fichier d’état civil, ne contribue pas à redonner confiance à des déportés qui ont encore en mémoire les déportations et les exactions commises au cours de la période 1989-1990. Le plus urgent pour ces déportés du Sénégal c’est que  leur soient délivrés des pièces d’identité biométriques suite aux opérations d’enregistrements dont ils ont fait l’objet de la part des autorités sénégalaises et qui avaient débuté au mois de mai 2011. Quant aux déportés mauritaniens du Mali, les autorités ne semblent pas faire cas d’eux, dans la mesure où le ministre mauritanien de l’intérieur et de la décentralisation prétend qu’il n’existe pas de « mauritaniens réfugiés au Sénégal.»Pourtant le haut commissariat des nations unies pour les réfugiés(HCNUR) a annoncé publiquement qu’il a procédé à l’enregistrement de près de dix mille déportés mauritaniens au Mali.
Pour finir, nous sommes convaincus que le pèlerinage organisé  par le comité Inal le 28  novembre 2011 en souvenir des 28 soldats négro-mauritaniens pendus à Inal le 28 novembre 1990 et le succès retentissant qu’il a  produit seront l’occasion d’une grande  offensive  contre l’impunité en Mauritanie. Nous remercions tous les membres du comité Inal où qu’ils se trouvent, sans qui, les cérémonies des journées de commémorations en souvenir de nos martyrs n’auraient pas eu lieu. Nous remercions le président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie(IRA), Monsieur Biram ould Dah ould Abeid dont on ne peut que louer le courage et la persévérance. Biram est à l’origine de la création du comité Inal qui est une étape importante et un nouveau départ vers l’émancipation des victimes du racisme, de l’esclavage  et de tous les opprimés en Mauritanie.  Incha Allah.

         Comité Inal Sénégal - Président : Moustapha Touré
                                                                                                     Dakar, le 5 décembre 2011

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire