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mardi 22 mars 2011

Pourquoi cette volonté de manipuler le recensement en Mauritanie ?


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Pourquoi cette volonté de manipuler le recensement  en Mauritanie ?
           

 On aurait pu penser que le départ de Maawiya Ould Sid Ahmed Taya allait ouvrir une phase d’apaisement entre communautés mauritaniennes. Voilà qu’un évènement nous révèle que les démons sont encore-là, toujours plus forts.

L’opération de recensement entamée le 28 novembre 2010 par l’Agence Nationale du Registre des Populations et des Titres Sécurisés (ANRPTS) suscite des inquiétudes. Aux yeux de nombreux citoyens mauritaniens, elle manque de transparence. « Depuis le démarrage de l’opération (…), rares sont les Mauritaniens informés sur les dispositions réglementaires et la méthodologie encadrant cette importante action.»1

Certains signes laissent à penser que se jouent des manœuvres politiciennes à caractère racial. « La composition du comité de pilotage (12 membres, un seul négro-mauritanien) (…) n’est pas constitué d’une manière à rassurer tous les mauritaniens, car il ne reflète pas la composition du pays.2



Des rumeurs circulent, selon lesquelles on diviserait la population poular entre Peulhs et Toucouleurs et la population Soninké entre Futanko (Soninké du Fouta) et Guidimanko (Soninké du Guidimakha). Si elles se révélaient être vraies, elles témoigneraient de cette réelle volonté de procéder à des divisions au sein des populations. Il s’agirait d’une politique qui viendrait en continuité de la période coloniale qui consistait à fragmenter les sociétés africaines pour mieux les diriger. Cette démarche est en tout cas non conforme à la Constitution. La Constitution mauritanienne ne reconnaît les communautés qu’à travers les langues nationales qui sont l’arabe, le poular, le soninké, et le wolof. Nous signalons au passage,  que le bambara est oublié. Pourtant il y a des Mauritaniens qui parlent cette langue. Cet oubli révèle que la politique en Mauritanie, comme partout ailleurs, se joue autour de rapports de force. Ainsi, il y a une règle à ne  jamais oublier : les minorités, ceux qui ne sont pas organisés pour défendre leurs droits sont rejetés au banc de la collectivité.

D’autre part, les Harratines sont classés dans la catégorie  arabe. Ce qui n’est pas le cas. Les Harratines parlent l’Hassanya qui est un mélange d’arabe, de berbère et de langues négro-africaines.

Même si ces rumeurs étaient fausses, elles témoigneraint de l’inquiétude des Noirs  qui n’ont jamais eu confiance au recensement Mauritanie.

Depuis l’indépendance les Arabes et ceux qui se réclament être arabes sans l’être (les Berbères) ont  toujours voulu affirmer leur majorité pour justifier leur détention du pouvoir.

Le recensement de la population  en Mauritanie a toujours été entouré de mystère. Cette persistance d’une nébuleuse autour de cette question doit nous interroger en dehors de toute appartenance. Chacun doit se poser la question de savoir pourquoi, en Mauritanie, d’épais  nuages flottent autour de la composition de la population.

Sans parti pris, nous pouvons dire que cette attitude est révélatrice d’une politique ségrégationniste qui tend à justifier la suprématie maure. Il s’agit d’une démarche qui ne peut conduire qu’à des tensions.

« Il est à noter que l’écrasante majorité des Négro-africains, de retour après les déportations au Sénégal, n’ont toujours pas obtenu de papiers d’état civil. Ils sont réduits à être des réfugiés dans leur propre patrie. Que dire du parcours du combattant  quand les « citoyens » noirs de Mauritanie cherchent à obtenir un acte de naissance ou de mariage, une carte d’identité nationale ? Ils sont, malheureusement, obligés de corrompre chèrement les responsables affectés à ces services, de supporter des mois de va et vient et, malgré tout, de se retrouver avec des noms volontairement « arabisés » ! « 3

 

Cette politique est le résultat d’un Etat d’esprit qui puise ses racines dans la formation des Etats africains. La Mauritanie, comme la plupart des Etats africains, est le produit d’une volonté coloniale qui a rassemblé au sein d’un même espace des populations qui ne partagent aucune histoire commune ni volonté de vivre ensemble. Elle a aussi toujours dressé les populations les unes contre les autres.

Cette situation n’est guère en elle même une fatalité sauf que la plupart des dirigeants africains ont copié leurs maîtres coloniaux, joué sur les divisions pour régner. La Côte d’Ivoire, en est l’exemple type. Les colonisateurs et les dirigeants africains ont fragmenté l’Afrique en ethnies figées.

La notion d’ethnie est un concept flou que nous avons déjà analysé dans un de nos précédents articles.4.

Certains pays africains ayant une population composite ne connaissent guère de conflits ethniques. C’est le cas du Burkina Faso.

L’histoire précoloniale nous enseigne que des ethnies africaines différentes ont vécu ensemble au sein d’espaces politiques sans que l’ethnie soit au cœur des enjeux politiques. 5

Encore aujourd’hui, les traces de la recherche d’une cohabitation paisible entre ethnies différentes demeurent. La persistance du  cousinage à plaisanterie en témoigne. Ainsi au Burkina Faso comme ailleurs  « au bureau, dans la rue, dans les transports en commun, en famille ou avec des amis, la parenté à plaisanterie pimente la vie quotidienne et donne lieu à des situations incongrues. Cette tradition encore vivace consiste à faire semblant de créer un conflit avec le représentant d’une ethnie alliée. Ce pacte permet aux protagonistes de s’insulter, de se railler et de se bousculer à l’envie, sans risque de dérapage. »6

Ce sont donc des dirigeants africains formés à l’école coloniale qui aiguisent les conflits entre communautés en Afrique. La stratégie adoptée dans ce recensement en Mauritanie entre dans le cadre de cette même logique. Le pouvoir cherche à fragmenter les populations noires en vue de les minorer ou même de les  ignorer.

La question qui se pose est de savoir si l’on doit gouverner pour favoriser une communauté ou gouverner pour favoriser la paix collective ?

Dans l’idéal, on doit gouverner dans l’intérêt de tous. L’histoire est malheureusement fondée sur des rapports de force. Les conflits d’intérêts sont partout. Ce sont les luttes qui amènent à des équilibres relatifs.

La faiblesse du monde négro-africain est sa pusillanimité. Ce qu’elle subit en Mauritanie est la conséquence de sa propre lâcheté. Tant qu’elle n’arrivera pas à s’affirmer, elle ne pèsera d’aucun poids dans le pays. Lorsque nous parlons de s’affirmer, nous ne désignons pas le Maure comme ennemi. La communauté noire doit simplement lutter pour se faire respecter, défendre ses droits.

Toute la politique de l’Etat mauritanien depuis l’indépendance a tourné autour de l’idée de fonder l’arabité de la Mauritanie et la légitimité du pouvoir maure. Il ne faut pas se tromper. Une telle politique ne peut conduire qu’au désastre. Les Négro-africains et Harratines prendront  conscience un jour ou l’autre qu’ils ne seront jamais respectés tant qu’ils ne défendront pas leurs droits et dignité.

 

1 Recensement des populations et des titres sécurisés: Les négro-mauritaniens manifestent leurs inquiétudes.in http://www.boolumbal.org/Recensement-des-populations-et-des-titres-securises-Les-negro-mauritaniens-manifestent-leurs-inquietudes_a5289.html

            2 Ibid.

            3 Note d’information: Front de Lutte contre l’Esclavage, le Racisme et l’Exclusion (FLERE)  in  http://haratine.blogspot.com/2011/02/note-dinformationfront-de-lutte-contre.html2Ibid

4 Oumar Diagne, L'Ethnicité en Afrique 

http://aircrigeweb.free.fr/ressources/mauritanie/colloquesoudmauritanie/collMauritanieDiagne.html

 

5 Jean-Loup Amselle, Elikia M'Bokolo, Au cœur de l'ethnie: Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Editions la découverte

 

6 Le bienfait des railleries ethniques in Afrik.com

Diagne Oumar Ecrivain

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